sábado, 22 de enero de 2011

Le moyen français


 Le moyen français est une variété historique du français qui était parlée aux XIV et XV siècle.

C'est une période durant laquelle la langue française se différencie des autres langues d'oïl et devient la langue officielle du royaume de France, au lieu du latin et des autres langues d'oïl, de l'occitan et du francoprovençal.
Le développement de la littérature en français moyen prépare le vocabulaire et la grammaire du français classique.





Exemple de moyen français :
Version d’époque
Exemple de traduction moderne
« En ceſt eſtat paſſa iuſques à vn an & dix moys : onquel temps par le conſeil des medecins on commença le porter : & fut faicte vne belle charrette à bœufs par l’inuention de Iehan Denyau. »
« De la sorte, il passa un an et dix mois, après quoi, sur les conseils des médecins, on commença à le sortir et une belle charrette fut construite grâce à l'ingéniosité de Jean Denyau. »
François Rabelais (v. 1483-1553), extrait de Gargantua, chapitre 7

Durant cette période, il se produit une unification plus rigide et plus caractéristique de la langue, dotée progressivement de tous les éléments grammaticaux qui lui manquent plus ou moins et dont le vocabulaire s'enrichit (néologisme, latinisation).

La tendance vers les nombreux emprunts du latin et du grec à partir de textes classiques se fit alors généralement au détriment du riche vocabulaire de l'ancien français.

Il y a aussi un développement d'une grammaire théorique, d'une lexicographie (Dictionnaire français-latin de Robert Estienne, en 1539).


Afin de se faire une idée des différences entre l'ancien français et le moyen français, on peut comparer ces transcriptions des Serments de Strasbourg, l'un étant une graphie du XIe siècle (ancien français), l'autre, celle du XVe siècle (moyen français): 



Ancien francais (XIe siècle)
Por dieu amor et por del crestiien poeple
et nostre comun salvement,
de cest jorn en avant, quan que Dieus saveir
et podeir me donct,
si salverai jo cest mien fredre Charlon,
et en aiude, et en chascune chose,
si come on par dreit son fredre salver deit,
en ço que il me altresi façet,
et a Londher nul plait onques ne prendrai,
qui mien vueil cest mien fredre Charlon
en dam seit.


Moyen français (XVe siècle)
Pour l'amour Dieu et pour le sauvement du chrestien peuple et le nostre commun,
de cest jour en avant, quan que Dieu savoir
et pouvoir me done,
si sauverai je cest mien frere Charle,
et par mon aide et en chascune chose,
si comme on doit par droit son frere sauver,
en ce qu'il me face autresi,
et avec Lothaire nul plaid onques ne prendrai,
qui, au mien veuil, à ce mien frere Charles
soit à dan. 

Sommaire

1.        Changements phonétiques
2.        Changements dans la morphologique et la syntaxe
3.        Orthographe
4.         Les changements lexicaux
5.        Sémantique
Une langue simplifiée

Cette longue période d'instabilité politique, sociale et économique favorisa un mouvement de «relâchement linguistique».


1.     Changements phonétiques

v      Réduction des diphtongues, triphtongues, nasales et affriquées


Au début du XIVe siècle tout le système de l'ancien français se simplifia. Les nombreuses diphtongues et triphtongues disparurent, se réduisant à des voyelles simples dans la langue parlée.

Exemple :      flour[flowr]>fr. fleur [floer]
                     eau [eau] > [o]
                     main [mjn]> [m]
                     jambe[dʒamb]>[ ʒặb]


Seule la langue écrite conserva les traces de la prononciation de l'époque précédente, l’ancien français, dans des mots comme oiseau, peau, fou, fleur, coeur et saoul.


2.     Changements dans la morphologique et la syntaxe


v      Passage de la post-détermination à la pré-détermination

Le changement le plus important par rapport à l'ancien français est la disparition définitive de la déclinaison favorisant ainsi une stabilisation de l'ordre des mots dans la phrase (sujet + verbe + complément)

Le mot ne figure plus que sous une seule forme, celle de l'ancien cas régime; « s » devient alors, dans la langue écrite, la marque du pluriel.

Exemple: la forme li murs (cas sujet) est abandonnée, et ne s'emploie plus que le mur (cas régime) à toutes les fonctions grammaticales; de même au pluriel, le cas sujet li mur a disparu, et il ne reste plus que le cas régime les murs.



Il existe peu de textes rédigés en français populaire, mais en voici un exemple trouvé dans le Journal d'un bourgeois de Paris (de l'année 1416) écrit par un membre de l'Université : 
"Les pauvres gens mangeaient ce que les pourceaux ne daignaient manger: ils mangeaient trognons de choux sans pain, ni sans cuire, les herbettes de champ sans pain et sans sel. Bref il était si cher temps que peu de ménagers de Paris mangeaient leur soûl de pain; car de chair ne mangeaient-ils point, ni de fèves, ni de pois; que verdure, qui était merveilleusement chère."


v      Emploi des prépositions, pronoms et articles au lieu des cas

L'article et les pronoms montent en grade. Cette utilisation de plus en plus systématique de l'article ou du pronom personnel, alors que ces mots étaient fréquemment omis en ancien français, tout comme en latin, rendirent la phrase plus complexe.

L'article défini se limite aux trois formes, le, la, les. L'article indéfini perd ses formes du pluriel (uns, unes), pour ne conserver que le singulier, un, une. Par contre, du, de, de la, des se développent.

Les démonstratifs cil, cest, cestuy, etc., disparaissent. Les possessifs tendent à se limiter aux séries mon, ton, son..., ma, ta, sa..., mien, tien, sien..., mais les anciennes tournures subsistent: un mien ami (mon ami), être mien (être à moi), etc.

v      Emploi des pronoms personnels au lieu des terminaisons verbales variées

v      Fonction grammaticale des éléments de la phrase est désormais déterminée par la place qu’ils occupent

v    Le pronom sujet n'est pas encore complètement nécessaire :

Ex. : "Et telle s'estime femme de bien, qui n'a pas encore sceu comme ceste cy resister jusque au sang. Parquoy se fault humillier ..." = "C'est pourquoi il faut s'humilier

NB: notez que le prononom se, complément de l'infinitif humillier, se met devant "fault"; c'est l'usage au XVIe siècle.

v      La conjugaison tend à refuser, de plus en plus, l'alternance vocalique au présent (cependant, même à la fin du XVIe siècle, on rencontre chez Montaigne,
je trouve/il treuve.

v      Enfin, l'habitude de mettre un -e final à la première personne du présent se généralise.

v      Les conjugaisons verbales se régularisèrent et se simplifièrent. Elles diffèrent en moyen français, mais on peut les reconnaître quand même avec un peu de pratique !

-oit comme désinence de l'imparfait au lieu de -ait
             "elle aimoit si fort" au lieu de "elle aimait si fort"

            - "il dist" pour "il dit"

v      Parfois les infinitifs ont changé: on trouvera "cuyder" pour "croire"

v      Certains verbes ont disparu depuis le seizième siècle :

souloir veut dire "avoir l'habitude de" (lat. solere)
pour dire "entendre", on utilise le verbe "ouïr," qui n'existe aujourd'hui que dans des expressions figées comme "par ouï-dire".

Exemple :  "Si j'eusse eu autre moyen de me defendre de vous que par la voix, elle n'eust jamais esté oye ..."

v      Pluriel du participe passé en « z » : "confisquez" pour "confisqués".
Les traits les plus marquants du moyen français concernent le lexique et l'orthographe.

3. Orthographe

L'orthographe commença à se fixer, comparativement à l'ancien français, tout en se compliquant, et ce, malgré les efforts de certains pour la rationaliser.

On eut tendance à restituer des consonnes doubles disparues en ancien français.

Par exemple : belle pour bele d'après le latin bella, flamme pour flame d'après flamma, etc.).

Pour lutter contre les confusions dues, à l'initiale des mots, à l'alternance entre la lettre [u] et [v] dans la graphie, on ajouta un [h] initial, ce qui permit de distinguer des mots tels que huis de vis, huître de vitre, etc.

On observe aussi l'effritement des consonnes finales (par exemple grand prononcé antérieurement gran-ntt devint gran) et la contraction des mots (serment pour serement).

Les noms

- « y » à la fin des mots, parfois aussi à l’intérieur, au lieu de « i ». On trouve aussi « i »  à la
  place de « y ».

Exemples :
"son mary" au lieu de "son mari"
"demye" au lieu de "demie"
"que j'aye parlé" pour "que j'aie parlé"
"voiant" pour "voyant"

- "ou" et "o" sont interchangeables au début des mots :
  ex: "povoir" au lieu de "pouvoir"

- le « s » qui sera remplacé plus tard par le circonflexe : "evesque" (évêque), "tost" (tôt).

- on trouve souvent "es" au début d'un mot au lieu de "é" :  
"esté" (été),  "despescher" (dépêcher).

- "ung" au lieu de "un" [le "g" sert à marquer le "n" !]

- "z" est souvent la marque du pluriel (au lieu de "s") :  "mariz" (maris)

- Lettres qu'on utilise pour souligner une étymologie et qui ont disparu du français moderne :
 
  Exemple :  "se doubter" (se douter), du lat. dubitare (en anglais : "to doubt")
                   "debvoir" (devoir) du lat. debere
                   "lict" (lit), du lat. lectum
                   "poinct" (point), du lat. punctum
                   "nuict" (nuit),  (lat. noctem)
                   "faict" (fait), du lat. factum.
                   "je sçay" (je sais),  par faux rapprochement avec le latin scire.

- Certains noms propres ont conservé le s final du nominatif, vestige du -us latin au singulier :       Exemple : Charles (Carolus).


Les Adverbes :  "s" dit "adverbial": "jusques" pour "jusque".




4. Les changements lexicaux


v      Relatinisation

Le français se répandit de plus en plus en France et gagna des positions réservées naguère au latin, mais celui-ci prit sa revanche en envahissant la langue victorieuse.

Dès le XIIIe siècle, le latin savant faisait son apparition dans le vocabulaire français, mais, au XIVe siècle, ce fut une véritable invasion de latinismes.

Un grand nombre de ces mots ne connut qu'une existence éphémère (intellectif; médicinable, suppécliter), mais d'autres réussirent à demeurer (déduction, altercation, incarcération, prémisse). 

Ce vaste mouvement de latinisation (ou de relatinisation) allait se poursuivre jusqu'au milieu du XVIe siècle. On peut la considérer comme l'un des faits marquants de toute l'histoire du français. 

Il faut voir, dans cette période du français, l'influence des clercs et des scribes, instruits et puissants qui, cherchant à rapprocher la langue parlée, c'est-à-dire celle des «ignorants», de celle représentant tout l'héritage culturel du passé, dédaignèrent les ressources dont disposait alors le français.

Ces «écumeurs de latin», comme on les a appelés, contribuèrent à l'apparition de nettes différences entre l'orthographe et la prononciation.

Le français devint la chose des lettrés, des poètes et des grammairiens. Voici comment se justifiait un latiniste de l'époque, Nicolas Oresme (v. 1320-1382) :

 Une science qui est forte, quant est de soy, ne peut pas estre bailliee en termes legiers à entendre, mes y convient souvent user de termes ou de mots propres en la science qui ne sont pas communellement entendus ne cogneus de chascun, mesmement quant elle n’a autrefois esté tractée et exercée en tel langage. Parquoi je doy estre excusé en partie, si je ne parle en ceste matière si proprement, si clarement et si adornéement, qu'il fust mestier.

Oresme affirmait ainsi que plus les termes étaient difficiles et rares, mieux ils convenaient à des écrits savants.

En 1501, à la toute fin du moyen français, un traité anonyme, Le Jardin de Plaisance et fleur de rhetorique, dénonçait déjà cette nouveauté à outrance qui consistait à écumer le latin :
 
Moyen français

Quint vice est d'innovation
De termes trop fort latinisans
Ou quant l'on fait corruption
D'aucuns termes mal consonants,
Trop contrains ou mal resonans
Ou sur le latin escumez;
Ainsi ilz sont moult dissonans,
Indignes d'estre resumez.

Français contemporain

[Le cinquième vice est l'invention
de mots nouveaux, trop latinisants,
ou quand on corrompt
des termes mal consonants,
trop forcés ou sonnant mal
ou empruntés au latin;
c'est ainsi qu'ils sont trop dissonants,
indignes d'être repris.]



Création de doublets

Couple de mots issus d’un même étymon, l’un est le résultat du jeu des lois phonétiques
(lat.liberare > v. fr.livrer), l’autre est un calque direct (lat. liberare > v. fr.libérer).

Opposition “populaire” vs “savante”

Exemple : lat. natalem > Noël vs natal

Nouvelles formations

v      Dans langue religieuse :

lat. blastimare > v. fr.blasmer(sens général), blasphémer(sens religieux)
Lat. redemptionem > v. fr.rançon (sens général), rédemption(sens religieux)
Cf. parole vs parabole, parvis vs paradis, serment vs sacrement, prêcheur vs prédicateur

v      Dans domaine juridique

lat. legalis > v. fr.loyal (sens général), legal (sens juridique)
Cf aussi octroier vs autoriser, procureur vs procurateur

v      Dans domaine scientifique, e.g. médecine

Cailler vs coaguler, poinçon vs ponction


5. Sémantique

Souvent on découvrira que le sens d'un mot du XVIe siècle qui a subsisté jusqu'à nous s'est beaucoup affaibli au cours du temps.

Par exemple, au XVIe siècle, "étonner" veut dire "étourdir," "effrayer" et même "paralyser"!

Ex. : Rabelais, Pantagruel:  "Le moyne avec son baston de croix luy donna entre col et collet sus l'os acromion si rudement qu'il l'estonna et feit perdre tout sens et mouvement."

Ex. : Heptaméron : "là où il estoit estimé le mieux parlant qui fust en Espaigne, devint muet devant Floride, dont elle [Avanturade] fust fort estonnée".

Le mot "passion" a souvent le sens de "souffrance morale, douleur, affliction."
D'autres mots ont changé de sens simplement en raison des transformations de la société:
ex. "honneste"="convenable, agréable (à cause d'associations avec la noblesse).

"si est-ce que" = "néanmoins," "toujours est-il que"
"comme" = "comment"
"trop" = "beaucoup"

Ex. : "elle eust esté trop plus que longue" = "elle [cette nouvelle] aurait été beaucoup plus longue.

dans la première nouvelle, "voiant sa dicte femme" pour "sa dicte femme voyant" 


Le français s'est développé librement entre les IXe et XIVe siècles, mais le XVe siècle annonce déjà l'époque du «dirigisme linguistique», caractéristique du français qui va suivre.

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