L'ordonnace de Villers-CotterÊts (1539) |
1.- La langue juridique
L’ordonnance de Villers- Cotterêts (1539), promulguée par François Ier à la suite des édits royaux de 1490, 1510, 1535 qui préconisaient l’usage du langage français ou maternel, impose dans ses articles 110 et 111 le français comme langue juridique pour éviter toute ambiguïté dans l’interprétation, à l’exclusion du latin et, semble-t-il, des dialectes :
L'ordonnance de Villers- Cotterêts (1539). Article 111
- Que les arretz soient clers et entendibles
Et afin qu’il n’y ayt cause de doubter sur l’intelligence desdictz arretz. Nous voulons et oronnnos qu’ilx soient faictz et escriptz si clerement qu’il n’y ayt ne puisse avoir aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieu a en demander interpretacion.
- De prononcer et expedier tous actes en langaige francoys
Et pour ce que telles choses sont souventesfoys advenues sur l’intelligence des motz latins contenuz es dictz arrestz. Nous voulons que doresenavant tous arrestz ensemble toutes aultres procedeures, soient de nous cours souveraines ou aultres subalternes et inferieures, soient de registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testamens et aultres quelzconques actes et exploictz de justice ou qui en dependent, soient pronocez, enregistrez et delivrez aux parties en langage maternel francoys et non aultrement.
Geoffroy Tory, Champfleury (1529) |
Dans les plaidoyers pour la langue française, le souci d’enrichir, de magnifier et de publier le français est clairement donné comme un moyen d’hégémonie politique. Comme le rappelle Geoffroy Tory, dans le Champfleury (1529), « les Romains ont plus obtenu de victoires par leur langue que par leur lance ». la tendance à l’unification politique, l’accroissement des agent royaux sous le règne des Valois affermissent la position du français.
2.- Ouvrages techniques en français
Des ouvrages originaux sont écrits en français. Comme le suggère le chirurgien Ambroise Paré, dont l’ensemble des œuvres est rédigé en français, à propos des barbiers chirurgiens qui ignorent le latin : ne vaut-il pas mieux les enseigner en français, plutôt que les laisser ignorants ? C’est ce que préconisait déjà Symphorien Champier dans son Mirouel des Apothicaires (1532) à propos de ces apothicaires qui n’entendent que le « latin de cuisine » et pour lesquels il avait traduit en français son Castigatiorum, livre où il dénonçait leurs erreurs. En mathématiques, plusieurs traités de sciences appliquées sont publiés. Pierrre Belon écrit en français ses traités sur les oiseaux et les poissons. En géographie, paraissent en français guides, itinéraires et cartes. Au cours du siècle, le français s’impose dans des domaines variés : en ce qui concerne l’imprimerie parisienne, en 1501, le dixième des livres publiés est en français, en 1575, plus de la moitié.
3.- La langue de la religion
L’extension des langues vulgaires est remarquable dans la langue religieuse, l’autorité de la Bible et le soin mis à restituer dans son authenticité la parole de Dieu légitimant ces langues vernaculaires comme langues de culture. Luther (fondateur de la langue littéraire du « haut allemand », allemand cultivé moderne, à partir du dialecte thuringeois-hau.saxon, sa langue maternelle) a donné à partir des textes hébreux et grecs une version allemande du Nouveaus Testament en 1522, puis de l’Ancien Testament à partir de 1533. En France, alors que sont régulièrement imprimées, jusqu’en 1545, la Bible abrégée (de la Genèse à Job et le traité des 7 âges du monde, parue dès 1473) et la Bible historiale qui mettent l’accent sur l’histoire biblique et les commentaires, le souci philologique anime Lefèvre d’Étaples dans ses traductions du Nouveau Testament (1523), puis de la Bible complète en 1530 (à partir de la Vulgate). En 1535, le cousin de Calvin, Olivetan, fournit une traduction de la Bible à partir de l’hébreu et du grec, édition qui fait l’objet de révisions successives par Calvin et ses collaborateurs. En 1541, Calvin traduit en français son Institution de la religion chrétienne publiée cinq ans plus tôt en latin. Marot traduit une cinquantaine de psaumes, à l’origine, avec des psaumes ajoutés par Théodore de Bèze, du Psautier huguenot. Théodore de Bèze, par son Abraham sacrifiant (1550), fonde le genre de la tragédie biblique.
L’utilisation du français comme langue religieuse est objet de vifs débats. Si certains souhaitent, comme l’humaniste Érasme, que chacun puisse magnigier le Seigneur dans sa langue, la faculté de théologie, dans les années 1520, considère comme pernicieuses les traductions de livres d’heures ou de bibles en français ; il ne lui semble pas judicieux de laisser auz ignorants la possibilité d’interprétations qui ne seraient pas cautionnées par les détenteurs du savoir. Toutefois, le français apparaît de plus en plus souvent dans les controverses religieuses. Ainsi Esprit Rotier, qui écrit, en 1548, un De non vertanda sacra scriptura in vulgarem linguam, compose quelquees années plus tard l’Antidote ou contrepoison et regime contre la peste d’heresie et erreurs portant infection à la sainte et entiere foi catholique. À partir de 1550, le français est à considérer comme la langue de l’Église protestante dans les pays où l’on parle le français. Alors que l’apprentissage de la lecture se fait généralement en latin, le français est adopté par les abécédaires genevois et lyonnais.
4.- Statut ambigu du latin
L’enseignement est dispensé usuellement en latin. Toutefois certains lecteurs royaux comme Ramus utilisent dans leur cours le français. Il semble bien que le latin soit la langue de l’écrit et que, dans les conseils ou dans les ambassades, les échanges se fassent en français, mais soient transcrits en latin.
Le français est favorisé par le statut ambigu du latin. Dans la pratique courante, le latin est corrompu. Les sermons de carême du franciscain Michel Menot prêchés à Paris en 1518 montrent une adaptation du latin au français :
Tertia nota est de gula. C’estoi un gros villeing gourmands qui non curabat nisi de Pangua sua: comedebat delicados morsas et cibos exquisitos, erat grossus infamis gulosus, les frians morseaux et viandes exquises, bibebat vinum preciosum et viandes exquises, bibebat vinum preciosum et delicatum, habebat stipendiis magnis cocos peritos et expertos ad provocandum appetitum domini cum esset degustatus, facientes salsas si friandes qu’il y mangeroit une viele savate.
Les peuples d’Europe pronocen differemment le latin et Érasme, par une étude comparée de ces variétés dans l’Europe contemporaine, tente de retrouver la prononciation originale du latin. L’entreprise de restauration du latin, inaugurée au siècle précédent par les humanistes italiens, s’accompagne d’une réflexion sur cette langue. Pour certains, comme Érasme, pour rester une langue universelle de communication, il doit continuer à s’enrichir. D’autres souhaitent la restitution d’une langue classique proche de celle de Cicéron, non susceptible du cicéronianisme. Érasme attaque les cicéroniens dont la situation ne lui parît pas tenable si l’on veut bien considérer que les institutions romaines ont disparu, qu’au paganisme a succédé le christianisme et qu’en stricte obédience cicéronienne, il faudrait transcrire Dieu le Père en Jupiter optimus maximus ; de plus, il rappelle que Cicéron lui-même a imité les Grecs, créé des néologismes, introduit des acceptions nouvelles.
En résume, l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) impose l’usage du français comme langue juridique. Les publications techniques en français se développent. Dans le domaine religieux, où l’utilisation du français est objet de violents débats, les traductions de la Bible se multiplient.
Le statut ambigu du latin donne naissance á la querelle du cicéronianisme : les tentatives humanistes de restitution de la prononciation antique influencent la prononciation du français.
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