1.1 L'avènement des Capétiens
1.2 Le premier «roi de France»
1.3 La langue du roi de France
2 - Les langues parlées en France
3 - La domination culturelle du latin
3.1. La langue de prestige
3.2. Un phénomène ininterrompu de latinisation
4- Des emprunts à la langue normande et à la langue Arabe
1 - La naissance du français
On situe la naissance du français vers le IXe siècle, alors qu'il faut attendre le Xe ou le XIe siècle pour l'italien, l'espagnol ou l'occitan.
Mais ce français naissant n’était parlé que dans les régions d’Orléans, de Paris et de Senlis (voir les zones en rouge sur la carte) par les couches supérieures de la population,
Seuls les « lettrés » écrivaient en « latin d’église » et communiquaient entre eux par cette langue.
Les rois de France parlaient encore le francique (une langue germanique) tout en utilisant le latin comme langue seconde pour l’écrit.
A cette époque, Le peuple était unilingue et parlait l’un ou l’autre des nombreux dialectes alors en usage en France.
Dans le Nord, diverses variétés d’oïl :
Le français dans la région de l’île de France, mais ailleurs c’était le picard, l’artois, le wallon, le normand, le breton…
Dans le Sud, diverses variétés d’pc, plus proches du latin, étaient florissantes (provençal, languedocien, gascon, limousin, etc.), surtout que l’influence linguistique wisigothe avait été quasiment nulle, sauf dans la toponymie.
1.1 L'avènement des Capétiens
Hugues Capet (987-996 |
En mai 987, Louis V, le roi carolingien de la Francie occidentale était décédé subitement dans un accident de chasse en ne laissant aucun héritier direct. Les grands seigneurs du royaume se réunissent à Senlis pour élire un successeur au trône de la Francie occidentale. L'aristocratie franque élit Hugues Ier . Il fut surnommé aussitôt le «roi à chape» — la chape (la «capa» ou cape) étant le manteau à capuchon que portaient les abbés —, d'où le terme Capet.
C'est avec l'avènement de Hugues Capet (en 987) que le premier roi de France (encore désigné comme le «roi des Francs») en vint à parler comme langue maternelle la langue romane vernaculaire (plutôt que le germanique), ce qui sera appelé plus tard comme étant le françois ou françoys (prononcé [franswè]).
Hugues Ier sera le fondateur de la dynastie des Capétiens et remplaça la monarchie élective en vigueur sous les derniers Carolingiens en une monarchie héréditaire.
La dynastie des Capétiens réussit à renforcer ainsi l'autorité royale et entreprit la tâche d'agrandir ses domaines. Contrairement aux rois précédents qui transportaient leur capitale d'une ville à l'autre, les Capétiens se fixèrent à Paris.
1.2 Le premier «roi de France»
Ce n'est qu'en 1119 que le roi Louis VI le Gros (qui régna de 1108 à 1137), un descendant de Hugues Capet, se proclama, dans une lettre au pape Calixte II «roi de la France», non plus des Francs, et «fils particulier de l’Église romaine».
C'est le premier texte où il est fait référence au mot France. D'où le mot français (et «françois» ou «françoys») qui désignait autant la langue du roi que le parler de l'Île-de-France ou même toute autre variété d'oïl (picard, champenois, normand, etc.).
Le mot francien ayant été créé en 1889 par le philologue Gaston Paris pour faire référence au «français de l'Île-de-France» du XIIIe siècle, par opposition au picard, au normand, au bourguignon, au poitevin, etc.
Les dialectes se divisaient en trois grands ensembles (voir la carte de la France dialectale):
les langues d'oïl au nord, les langues d'oc au sud, le franco-provençal en Franche-Comté, en Savoie, au Val-d'Aoste (Italie) et dans l'actuelle Suisse romande.
Bien que le français («françoys») ne soit pas encore une langue officielle (c'était le latin à l'écrit), il était néanmoins utilisé comme langue véhiculaire par les couches supérieures de la société et dans l'armée royale. La propagation de cette variété linguistique se trouva favorisée par les continuelles guerres.
De leur côté, les écrivains, ceux qui n'écrivaient plus en latin, cessèrent en même temps d'écrire en champenois, en picard ou en normand pour privilégier le «françoys».
Voici un texte d'ancien français rédigé vers 1040 et extrait de La vie de saint Alexis.
Dans ce document, Alexis renonce à sa femme, à sa famille et à la «vie dans le monde» pour vivre pauvre et chaste.
C'est l'un des premiers textes écrits en ancien français qui nous soit parvenu.
Il faut savoir que la graphie était relativement phonétique et qu'on prononçait toutes les lettres:
Ancien français
1. bons fut li secles al tens ancïenur
2. quer feit iert e justise et amur,
3. si ert creance, dunt ore n'i at nul prut;
4. tut est müez, perdut ad sa colur:
5. ja mais n'iert tel cum fut as anceisurs.
6. al tens Nöé et al tens Abraham
7. et al David, qui Deus par amat tant,
8. bons fut li secles, ja mais n'ert si vailant;
9. velz est e frailes, tut s'en vat remanant:
10. si'st ampairet, tut bien vait remanant
11. puis icel tens que Deus nus vint salver
12. nostra anceisur ourent cristïentet,
13. si fut un sire de Rome la citet:
14. rices hom fud, de grant nobilitet;
15. pur hoc vus di, d'un son filz voil parler.
16. Eufemïen -- si out annum li pedre --
17. cons fut de Rome, des melz ki dunc ieret;
18. sur tuz ses pers l'amat li emperere.
19. dunc prist muiler vailante et honurede,
20. des melz gentils de tuta la cuntretha
21. puis converserent ansemble longament,
22. n'ourent amfant peiset lur en forment
23. e deu apelent andui parfitement:
24. e Reis celeste, par ton cumandement
25. amfant nus done ki seit a tun talent.
2. quer feit iert e justise et amur,
3. si ert creance, dunt ore n'i at nul prut;
4. tut est müez, perdut ad sa colur:
5. ja mais n'iert tel cum fut as anceisurs.
6. al tens Nöé et al tens Abraham
7. et al David, qui Deus par amat tant,
8. bons fut li secles, ja mais n'ert si vailant;
9. velz est e frailes, tut s'en vat remanant:
10. si'st ampairet, tut bien vait remanant
11. puis icel tens que Deus nus vint salver
12. nostra anceisur ourent cristïentet,
13. si fut un sire de Rome la citet:
14. rices hom fud, de grant nobilitet;
15. pur hoc vus di, d'un son filz voil parler.
16. Eufemïen -- si out annum li pedre --
17. cons fut de Rome, des melz ki dunc ieret;
18. sur tuz ses pers l'amat li emperere.
19. dunc prist muiler vailante et honurede,
20. des melz gentils de tuta la cuntretha
21. puis converserent ansemble longament,
22. n'ourent amfant peiset lur en forment
23. e deu apelent andui parfitement:
24. e Reis celeste, par ton cumandement
25. amfant nus done ki seit a tun talent.
Français contemporain
1. Le monde fut bon au temps passé,
2. Car il y avait foi et justice et amour,
3. Et il y avait crédit ce dont maintenant il n'y a plus beaucoup;
4. Tout a changé, a perdu sa couleur:
5. Jamais ce ne sera tel que c'était pour les ancêtres.
6. Au temps de Noé et au temps d'Abraham
7. Et à celui de David, lesquels Dieu aima tant.
8. Le monde fut bon, jamais il ne sera aussi vaillant;
9. Il est vieux et fragile, tout va en déclinant:
10. Tout est devenu pire, bien va en déclinant (?)
11. Depuis le temps où Dieu vint nous sauver
12. Nos ancêtres eurent le christianisme.
13. Il y avait un seigneur de Rome la cité:
14. Ce fut un homme puissant, de grande noblesse;
15. Pour ceci je vous en parle, je veux parler d'un de ses fils.
16. Eufemïen -- tel fut le nom du père --
17. Il fut comte de Rome, des meilleurs qui alors y étaient
18. L'empereur le préféra à tous ses pairs.
19. Il prit donc une femme de valeur et d'honneur,
20. Des meilleurs païens de toute la contrée.
21. Puis ils parlèrent ensemble longuement.
22. Qu'ils n'eurent pas d'enfant; cela leur causa beaucoup de peine.
23. Tous les deux ils en appellent à Dieu parfaitement
24. «Ô! Roi céleste, par ton commandement,
25. Donne-nous un enfant qui soit selon tes désirs.»
2. Car il y avait foi et justice et amour,
3. Et il y avait crédit ce dont maintenant il n'y a plus beaucoup;
4. Tout a changé, a perdu sa couleur:
5. Jamais ce ne sera tel que c'était pour les ancêtres.
6. Au temps de Noé et au temps d'Abraham
7. Et à celui de David, lesquels Dieu aima tant.
8. Le monde fut bon, jamais il ne sera aussi vaillant;
9. Il est vieux et fragile, tout va en déclinant:
10. Tout est devenu pire, bien va en déclinant (?)
11. Depuis le temps où Dieu vint nous sauver
12. Nos ancêtres eurent le christianisme.
13. Il y avait un seigneur de Rome la cité:
14. Ce fut un homme puissant, de grande noblesse;
15. Pour ceci je vous en parle, je veux parler d'un de ses fils.
16. Eufemïen -- tel fut le nom du père --
17. Il fut comte de Rome, des meilleurs qui alors y étaient
18. L'empereur le préféra à tous ses pairs.
19. Il prit donc une femme de valeur et d'honneur,
20. Des meilleurs païens de toute la contrée.
21. Puis ils parlèrent ensemble longuement.
22. Qu'ils n'eurent pas d'enfant; cela leur causa beaucoup de peine.
23. Tous les deux ils en appellent à Dieu parfaitement
24. «Ô! Roi céleste, par ton commandement,
25. Donne-nous un enfant qui soit selon tes désirs.»
1.3 La langue du roi de France
Au cours du XIIe siècle, on commença à utiliser le «françois» à l'écrit, particulièrement dans l'administration royale, qui l'employait parallèlement au latin.
Sous Philippe Auguste (1165-1223), le roi de France avait considérablement agrandi le domaine royal: après l'acquisition de l'Artois, ce fut la Normandie, suivie de la Touraine, de l'Anjou et du Poitou.
Mais c'est au XIIIe siècle qu'apparurent des œuvres littéraires en «françois». À la fin de ce siècle, le «françois» s'écrivait en Italie (en 1298, Marco Polo rédigea ses récits de voyages en françois), en Angleterre (depuis la conquête de Guillaume le Conquérant), en Allemagne et aux Pays-Bas.
Évidemment, le peuple ne connaissait rien de cette langue, même en Île-de-France (région de Paris) où les dialectes locaux continuaient de subsister.
Lorsque Louis IX (dit «saint Louis») accéda au trône de France (1226-1270), l 'usage du «françois» de la Cour avait plusieurs longueurs d'avance sur les autres parlers en usage.
Au fur et à mesure que s'affermissait l'autorité royale et la centralisation du pouvoir, la langue du roi de France gagnait du terrain, particulièrement sur les autres variétés d'oïl.
À la fin de son règne, Louis IX était devenu le plus puissant monarque de toute l'Europe, ce qui allait assurer un prestige certain à sa langue, que l'on appelait encore le françois.
Dans le Psautier de Metz (ou Psautier lorrain) rédigé vers 1365, l'auteur, un moine bénédictin de Metz, semble déplorer que les différences de langage puisse compromettre la compréhension mutuelle:
En françois d'époque Et pour ceu que nulz ne tient en son parleir ne rigle certenne, mesure ne raison, est laingue romance si corrompue, qu'a poinne li uns entent l'aultre et a poinne puet on trouveir a jour d'ieu persone qui saiche escrire, anteir ne prononcieir en une meismes meniere, mais escript, ante et prononce li uns en une guise et li aultre en une aultre. | En traduction [Et parce que personne, en parlant, ne respecte ni règle certaine ni mesure ni raison, la langue romane est si corrompue que l'on se comprend à peine l'un l'autre et qu'il est difficile de trouver aujourd'hui quelqu'un qui sache écrire, converser et prononcer d'une même façon, mais chacun écrit, converse et prononce à sa manière.] |
Le «françois» parlé à la Cour du roi et à Paris jouissait dans les milieux aristocratiques d'un prestige supérieur aux autres parlers.
Voici un témoignage intéressant à ce sujet; il provient d'un poème biblique (1192) rédigé par un chanoine du nom de Evrat, de la collégiale Saint-Étienne de Troyes:
Tuit li languages sunt et divers et estrange Fors que li languages franchois: C'est cil que deus entent anchois, K'il le fist et bel et legier, Sel puet l'en croistre et abregier Mielz que toz les altres languages. | [Toutes les langues sont différentes et étrangères si ce n'est la langue française; c'est celle que Dieu perçoit le mieux, car il l'a faite belle et légère, si bien que l'on peut l'amplifier ou l'abréger mieux que toutes les autres.] |
Selon ce point de vue, le «françois» est ni plus ni moins de nature divine!
Ce français c'était également le «françois» de l'Administration royale. Ces milliers de fonctionnaires — déjà 12 000 vers 1500 — étaient bilingues et pouvaient s'exprimer dans un «françois» assez normalisé.
À la fin du Moyen Âge, on trouvait partout en France des gens pouvant se faire comprendre en «françois».
D'ailleurs, dès 1499, une ordonnance royale exigeait que les sergents royaux sachent lire et écrire le «françois».
Tous ces gens écrivaient et produisaient en français des actes, procès-verbaux, comptes, inventaires, suppliques, pétitions, etc. C'est ainsi que la bureaucratisation a pu jouer un rôle primordial dans l'expansion de la «langue du roi».
À partir du XIIe siècle, on s'est mis à écrire des chansons de geste, des chansons de trouvère, des fabliaux, des contes, des ouvrages historiques, des biographies de saints, des traductions de la Bible, etc., le tout en «françois du roi».
Avec l'apparition de l'imprimerie dès 1470 en France, le français du roi était assuré de gagner la partie sur toute autre langue dans le royaume.
Dans les écoles, on enseignait le latin, quitte à passer par le «françois» ou le patois pour expliquer la grammaire latine. Avec le temps, les écoles des villes se mirent à enseigner la langue françoise. À la fin du Moyen Âge, la majorité des citadins pouvait lire le «françois», sans nécessairement l'écrire.
2 - Les langues parlées en France
Dans la France de cette époque, le peuple, généralement, ignoraient le latin d'Église, à moins d'être instruits, ce qui était rarissime.
Ils ignoraient également le «français du roy», sauf dans la région de l'Île-de-France, d'où allait émerger une sorte de français populaire parlé par les classes ouvrières.
Les habitants de la France parlaient, selon les régions:
- diverses variétés de langues d'oïl: françois picard, gallo, poitevin, saintongeais, normand, champenois, etc.
- diverses variétés des langues d'oc (gascon, languedocien, provençal, alpin-dauphinois, etc.) ainsi que le catalan;
- diverses variétés du franco-provençal: bressan, savoyard, dauphinois, lyonnais, etc.,
- des langues germaniques: francique, flamand, alsacien, etc.
- le breton ou le basque.
Bref, à cette époque, le français n'était qu'une langue minoritaire parlée dans la région de l'Île-de-France (comme langue maternelle) et en province par une bonne partie de l'aristocratie (comme langue seconde).
3.1. La langue de prestige
Il faudra attendre le XIIIe siècle pour voir apparaître les premiers textes de loi en «françois».
Sous Philippe VI (1328-1350), le latin dominait encore largement au début de son règne, mais à la fin les trois quarts des chartes étaient rédigées en «françois».
Les gens instruits devaient nécessairement se servir du latin comme langue seconde: c’était la langue véhiculaire internationale dans tout le monde catholique.
3.2. Un phénomène ininterrompu de latinisation
Au Moyen Âge la traduction des oeuvres rédigées en latin a introduit une quantité impressionnante de mots savants issus du latin biblique, surtout à partir du XIIe siècle.
C'est au cours de cette période de l'ancien français que commença la latinisation à l'excès et qui atteindra son apogée au XVe siècle, avec le moyen français.
Les savants latiniseurs avaient développé un procédé lexical efficace qui consistait à ajouter une désinence «françoise» à un radical latin (savant).
4. Des emprunts à la langue normande et à la langue Arabe
•À la suite des invasions des vikings en Normandie (Xe s.) et de la constitution de
l’Empire arabe, porteur d’une civilisation très avancée qui a exercé son influence
du VIIIe au XIVe siècle, la langue française s’est enrichie en empruntant des mots
qui lui manquaient.
Les « Normands » ont apporté à la langue française quelques mots dont bon
nombre relèvent du domaine de la navigation sur mer (le point fort ddes vikings).
Quelques mots que la langue française a emprunté à la langue des normands
duvet | quenotte | étai | étambot |
étrave | narval | quille | tillac |
viking | édredon | geyser | guichet |
hanter | agrès | cingler | crique |
drakkar | gréer | guinder (hisser) | hauban |
hune | vague | varech |
Quelques mots que la langue française a emprunté à la langue arabe :
alambic | alchimie | algèbre | amiral |
arsenal | avarie | azur | calibre |
camphre | chiffre | coton | douane |
échec | élixir | gazelle | goudron |
hasard | jupe | magasin | matelas |
momie | nuque | orange | raquette |
sirop | sucre | zénith | zéro |
Les chiffres arabes, dans leur forme actuelle avec le zéro, furent introduits en Europe par le mathématicien italien Leonardo Fibonacci (v. 1175 - v. 1250) qui publia son Liber abaci (« Le livre des calculs »). Ce sont des clercs, qui au retour des croisades, furent les véritables diffuseurs de la numérotation arabe en France.
Ce fut la Révolution française qui généralisa en France l'emploi systématique de cette numérotation.
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