sábado, 22 de enero de 2011

Très ancien français.- Phonètique, grammaire et emprunts

I.PHONÉTIQUE 

L'ancien français présentait un système phonétique très complexe. Il possédait multiples sons ignorés qui parvenaient surtout du latin et du roman. Il faut dire que même si cette langue possédait un nombre de consonnes et de voyelles élevé, leur rendement phonologique était faible.

I-1.PRONONCIATION DES CONSONNES

En finale de mot, la règle était de prononcer toutes les consonnes écrites. Cependant, les lettres n'avaient pas la même valeur qu'on leur donne actuellement. Par exemple: le –t final se prononce [θ] (th) jusqu'à la fin du XIe siècle, dans des mots comme ‘aimet’ ou ‘chantet’ toutefois, ce son est tombé dans l’oubli. Contrairement à ce qui se passe en français moderne, tous les –s du pluriel se faisaient entendre. Par exemple, ‘ les omes’ (hommes) se prononçaient [lèzom-mës]. La lettre finale -z des mots comme amez (aimez), dolz (doux) avait la valeur de l'affriquée [ts]. Enfin, la lettre –l était mouillée (palatalisée) en [λ] en fin de mot: péril [periλ]. 


Rappelons que la période romane avait introduit la prononciation d'un [h] dit «aspiré» dans des mots d'origine francique comme honte ou haine. Cette prononciation du [h] s'est atténuée au cours de l'ancien français, qui finira par ne plus écrire le h initial dans la graphie. Par exemple, le mot « homme» du français moderne s'écrivait ‘ome’ (du latin ‘hominem’) en ancien français. Le h graphique a été réintroduit dans les siècles suivants soit par souci étymologique soit pour interdire la liaison.
L'un des traits caractéristiques de cet état de langue ancien résidait dans la présence des consonnes affriquées. Au nombre de quatre, elles correspondaient aux sons [ts], [dz], [tch] et [dj]comme dans ‘djihad’. Dans la graphie, elles étaient présentées respectivement par c (devant e et i) et –z en finale, par z à l'intérieur du mot, par ch, et par g (devant e et i) ou j (devant a, o ,u). Le graphème ë correspond au son [e] neutre comme dans chaeval ou chemin; en finale de mot, les e se prononçaient tous.

                                                                                                         
LETTRE SON ANCIEN FRANÇAIS PRONONCIATION FRANÇAIS MODERNE
c + i
c + e
-z
[ts]
cire
place
amez
marz
[tsirë]
[platsë]
[amèts]
[marts]
cire
place
aimez
mars
-z-
[dz] treize
raizon
[treidzë]
[raidzon-n]
treize
raison
g + e
g + i
j + a
j + o
j + u
[dj]
gesir
argile
jambe
jorn
jugier
[djézir]
[ardjilë]
[djam-mbë]
[djòrn]
[djudjjèr]
gésir
argile
jambe
jour
juger
ch-

[tch] chief
sache
riche
[tchièf]
[satchë]
[ritchë]
chef
sache
riche



Dans certains mots, les consonnes nasales [m] et [n], comme on les connaît en français contemporain, avaient déjà perdu leur articulation propre à la fin de mots comme pain, brun, blanc, etc. En fait, la consonne nasale était combinée avec la voyelle qui la précède et on ne la prononçait plus, et ce, même si elle était conservée dans la graphie.
            En général, en ancien français, les consonnes nasales pouvaient garder leur articulation propre et n'étaient pas nasalisées avec la voyelle précédente (comme aujourd'hui): on prononçait distinctement la voyelle nasale et la consonne nasale. Par exemple, on prononçait les mots bien, jambe, sentir, bon, etc… , en faisant bien sentir la consonne [n] ou [m]. Par exemple, dans l'adjectif ‘bonne’, non seulement la consonne était prononcée (comme aujourd'hui), mais la voyelle [ò] était nasalisée (ce qui n'est plus le cas) et la voyelle finale, prononcée: [bon + n + në]. Il faudrait noter aussi la chute de [s] devant une consonne sourde: ‘hoste’, ‘maistre’, ‘forest’, etc…

I-2.PRONONCIATION DES VOYELLES

La vérité est que la langue française était caractérisée par une surabondance d’articulations vocaliques. Certains spécialistes croient d’ailleurs qu'il s'agissait d'un système phonologique plutôt que simplement phonétique.

Les voyelles de l'ancien français étaient les suivantes:

- 9 voyelles orales: [i], [é], [è], [a], [o], [ò], [ou], [u], [ë]
- 5 voyelles nasales: [an], [ein], [in], [oun], [un]
- 11 diphtongues orales: [ie], [ue], [ei], [òu], [ai], [yi], [oi], [au], [eu], [èu], [ou]
- 5 diphtongues nasalisées: [an-i], [ein-i], [i-ein], [ou-ein], [u-ein]
- 3 triphtongues: [ieu], [uou], [eau]

Il y avait donc 33 voyelles en comparaison aux 16 qu’il y a actuellement, ce qui est déjà beaucoup comparé avec d’autres langues. Cependant ,il reste encore des vestiges de l’ancien français comme –eau qui était un triphtongue. Au cours des XIIIe et XIVe siècles, l'ancien français continuera d'évoluer. Ainsi, la graphie ‘oi’ est passée de la prononciation en [oi] , à [oé], puis [oè] et finalement [wè]: des mots comme roi, moi, loi, toi, etc., étaient donc prononcés [rwè], [mwè], [lwè], [twè], etc. La prononciation en [wa] était déjà attestée au XIIIe siècle, mais elle n'était pas généralisée. Certains critiquaient cette prononciation en [wa], car elle était surtout employée par les classes modestes.



II.GRAMMAIRE

II-1.LES DÉCLINAISONS

Sur le plan morphosyntaxique, l'ancien français conservait encore la déclinaison à deux cas et l'ordre des mots était assez libre dans la phrase, généralement simple et brève. Jusqu'au XIIIe siècle, les deux cas de l'ancien français sont les mêmes que pour la période romane: le cas sujet (CS) et le cas régime (CR) issu de l'accusatif latin.

DECLINAISON I CS   (cas sujet)
CR   (cas non sujet)
li murs  (le mur)
le mur   (le mur)
li mur       (les murs)
les murs   (les murs)
DECLINAISON II CS   (cas sujet)
CR   (cas non sujet)
li pere   (le père)
le pere   (le père)
le pere      (les pères)
les peres   (les pères)
DECLINAISON III CS   (cas sujet)
CR   (cas non sujet)
li cuens  (le comte)
le comte (le comte)
li comte (les comtes)
les comtes (les comtes)

II-2.L’ARTICLE

Au contraire du français, le latin n’avait pas d’articles car son système de déclinaisons était suffisant pour identifier le genre et le nombre. Le français, en revancha, a développé un système d'articles à partir des démonstratifs ille/illa/illud, qui ont donné les déterminants appelés «articles définis». Les articles en ancien français se déclinaient comme les noms en CS et CR, au masculin comme au féminin. Alors qu'en français moderne, on a l'opposition le / la / les, l'ancien français opposait li / le (masc.), la (fém.) et les (plur.)

ARTICLE      DÉFINI                   MASCULIN                     FEMININ

singulier pluriel singulier pluriel
CS li li la les
CR le les





Pour l'article indéfini, ce sont les formes uns / un (masc.) et une (fém.), alors que le pluriel était toujours marqué par uns (en français moderne: des). 


ARTICLE      DÉFINI                  MASCULIN                     FEMININ

singulier pluriel singulier pluriel
CS uns           uns une unes
CR un



II-3.LE GENRE

Généralement, la marque du genre se trouvait en latin dans la terminaison des noms et des adjectifs. Dans l'évolution du latin vers l'ancien français, les marques du genre ont perdu leurs caractéristiques d'origine et se sont vues peu à peu substituées par celles-ci: 

1) La déclinaison féminine en -as a donné des mots du genre féminin en français: rosam - rose / rosas - roses.
2) Les pluriels neutres latins en -a ont également donné des mots au féminin en français: (arma- arme).
3) Les mots masculins latins en -is sont devenus masculins en français: canis -chien; panis-pain.
4) Les noms latins terminés en -er sont aussi devenus masculins: pater - père; liber -livre.
Beaucoup de mots d'ancien français ont changé de genre au cours du Moyen Âge. Ainsi, étaient féminins des mots comme amour, art, poison, ou serpent, aujourd'hui, ces mots sont masculins. À l'opposé, des mots aujourd'hui féminins étaient alors masculins, comme par exemple affaire, dent, image, etc.

II-4.LA FÉMINISATION

Une grande quantité de mots ont varié leur féminin au cours de l’évolution de la langue, comme ceci est l’exemple:

                           MASCULIN                             FÉMININ
Empereur
Devin
Médecin
Lieutenant
Chef
Apprenti
Bourreau
Empereuriere (emperière)
Devine
Medicine
Lieutenante
Chevetaine
Apprentisse
Bourrelle

II-5.LA NUMÉRATION


            Le système de numération aussi a été modifié en ancien français. Les nombres hérités du latin correspondent aux nombres de un à seize. Le  dix-sept est le premier nombre formé d'après un système populaire qui sert pour tous les nombres suivants. Pour les noms des dizaines, le latin possédait un système décimal; ainsi, dix, vingt, trente, quarante, cinquante et soixante sont d'origine latine. Mais au XIIème siècle, l’ancien français adopta la numération normande (d'origine germanique) avec un système vicésimal, ayant pour base le nombre vingt. 
            Le système de numération du français standard est donc hybride à la fois d'origine latine et germanique.

II-6.LE VERBE
            Au Moyen Âge, un certain nombre de verbes avaient des infinitifs différents de ceux qu’actuellement nous connaissons. Ainsi, au lieu de l'infinitif en -er, on employait celui en -ir comme aveuglir, colorir,etc…On trouvait aussi des infinitifs qui de nos jours ont totalement disparu, tout comme de nombreux verbes.
            Au fur et à mesure du chemin parcouru, plusieurs temps verbaux du latin ont disparu en faveur de l’ancien français, comme le plus-que-parfait de l’indicatif, le futur antérieur, les infinitifs passés et futurs, etc… Cependant, l’ancien français a ajouté aussi certains temps

verbaux nouveaux: le futur en -rai, et le conditionnel en -rais.
            Une autre chose particulière est que le –s final ne s’écrivait pas et l’emploi du futur était différent.

II-7.LE PARTICIPE PASSÉ

            Le participe passé avec les auxiliaires avoir et être existait en ancien français, mais il n'y avait pas de règles pour accorder, donc on avait le choix de faire accorder le participe passé avec être ou sans auxiliaire, mais on n'accordait que rarement le participe avec avoir. En général, celui-ci ne s’accordait pas avec le nom qui le suivait. De toutes les façons, cet ancien français restait encore très proche du latin.
            Quand à l’orthographe, elle n’était pas fixée ni réglée et était très proche du latin.

II-8.LA PHRASE

            La phrase de l'ancien français ressemble relativement à celle du français moderne dans la mesure où elle respecte l'ordre sujet + verbe + complément avec certaines différences, alors que l'ordre des mots en latin pouvait être plus complexe.


III.EMPRUNTS

            Quelques centaines de mots du français sont issus de l’arabe. Surtout au cours des siècles XII et XIII, mais aussi au XIVème siècle. C’est de cette façon que de nombreux mots comme échec, jasmin, abricot, coton, chiffre, magasin, alchimie, sirop ou timbale sont restés dans le vocabulaire francophone. On peut trouver des mots rattachés à la technique, au commerce, etc.…
            Mais le monde arabe n’a pas transmit que des mots au français, mais aussi un patrimoine culturelle au travers de la littérature, la philosophie et la science. Ces disciplines existaient déjà à l’époque et ont laissé des traces aujourd´hui encore dans la science moderne. En effet, la médecine, l’alchimie, les mathématiques ou l’astronomie sont des disciplines arabes. .
            Cependant, l'arabe n'a transmis directement au français qu'un petit nombre de mots; la plupart des mots arabes nous sont parvenus par l'intermédiaire du latin médiéval, de l'italien, du provençal, du portugais et de l'espagnol. De plus, la langue arabe présente elle même quelques emprunts du turc, du persan ou du grec. voici quelques exemples de l'arabe ayant passé auparavant par le grec, le portu8gais, le latin, l'italien, l'espagnol, etc.:

abricot (port.)
alambic (grec)
alchimie (grec)
alcool (lat.)
alezan (esp.)
algarade (esp.),
algèbre (lat.)
algorithme
amiral
arabesque (it.)
arsenal (it.)
assassin (it.)
azimut
balais (lat.)
bédouin
calife (it.)
carafe (it./esp.),
cheik
chiffre (it.)
coton (it.),
couscous
douane (it.)
échec (persan)
élixir (grec)
épinard (lat.)
estragon (grec)
fakir
gazelle,
gilet (esp.)
girafe (it.)
goudron
guitare (esp.)
hachisch
harem
iman (turc)
jarre (prov.)
jupe (it.)
laquais (esp.)
laque (prov.)
lilas (it.)
matelas (it.)
minaret (turc)
moka
momie
mosquée (it.)
nénuphar (lat.)
orange (prov.)
raquette (lat.)
récif (esp.)
safran (persan)
satin (esp.)
sofa (turc)
sorbet (it.)
sucre (it.)
talisman (grec)
tamarin (lat.)
timbale (esp.)
zénith
zéro (it.)
 

            Après 1830, c'est-à-dire après la conquête de l'Algérie par la France, d'autres mots arabes (une cinquantaine environ) ont pénétré dans la langue française: zouave, razzia, maboul, toubib, bled, matraque, etc. 
            D’ailleurs, non seulement le vocabulaire est passé au français. Nous avons aussi hérité les chiffres. En effet, l’arabe a permis au français de découvrir la numérotation en chiffres arabes, système que eux mêmes avaient emprunté a l’Inde et qu’ils nommaient chiffres hindîs. Bien que ces chiffres étaient plus performants que les romains, ils ne furent acceptés que graduellement.
            Ce sont des clercs, qui au retour des croisades, furent les véritables diffuseurs de la numérotation arabe en France. Le système fut même mal reçu, en raison notamment du zéro, qui désignait alors le néant ou le vide, une notion familière aux hindous, mais étrangère aux Occidentaux. Il faudra attendre le XIVe siècle pour que les chiffres arabes soient acceptés

La vie de Saint Alexis
IV.DOCUMENTS EN FRANÇAIS TRÈS ANCIEN
             
Voici quelques textes en français très ancien où nous pouvons apprécier quelques distinctions typiques de cette langue dont nous avons parler avant:


EXTRAIT DE ‘LA MORT DU ROI ARTHUR’ (1220 OU 1240, AUTEUR ANONYME)
"Sire, fet Agravains, oïl, et ge vos dirai comment." Lors le tret a une part et li dist a conseill : "Sire, il est einsi que Lancelos ainme la reïne de fole amour et la reïne lui. Et por ce qu'il ne pueent mie assembler a leur volenté quant vos i estes, est Lancelos remés, qu'il n'ira pas au tornoiement de Wincestre ; einz i a envoiez ceus de son ostel, si que, quant vos seroiz meüz ennuit ou demain, lors porra il tout par loisir parler a la reïne."
 [«Oui, sire, dit Agravain, je vais vous expliquer comment.» Il l'entraîna à l'écart et lui dit à voix basse : «Sire, la situation est telle que Lancelot et la reine s'aiment d'un amour coupable. Comme ils ne peuvent pas se rencontrer à leur aise quand vous êtes là, Lancelot est resté chez lui et n'ira pas au tournoi de Wincestre; mais il y a envoyé ceux de sa maison, si bien qu'après votre départ, ce soir ou demain, il aura tout le loisir de parler avec la reine.»]
Page II
Page IV

EXTRAIT DE LA VIE DE SAINT ALEXIS
1.  bons fut li secles al tens ancïenur
2.
  quer feit iert e justise et amur,
3.
  si ert creance, dunt ore n'i at nul prut; 
4.
  tut est müez, perdut ad sa colur: 
5.
  ja mais n'iert tel cum fut as anceisurs. 
6.
  al tens Nöé et al tens Abraham
7.
  et al David, qui Deus par amat tant,
8.
  bons fut li secles, ja mais n'ert si vailant;
9.
  velz est e frailes, tut s'en vat remanant:
10. si'st ampairet, tut bien vait remanant
11. puis icel tens que Deus nus vint salver
12. nostra anceisur ourent crist
ïentet,
13. si fut un sire de Rome la citet:
14. rices hom fud, de grant nobilitet;
15. pur hoc vus di, d'un son filz voil parler.
16. Eufemïen -- si out annum li pedre --
17. cons fut de Rome, des melz ki dunc ieret;
18. sur tuz ses pers l'amat li emperere.
19. dunc prist muiler vailante et honurede,
20. des melz gentils de tuta la cuntretha
21. puis converserent ansemble longament,
 
22. n'ourent amfant peiset lur en forment
23. e deu apelent andui parfitement:
24. e Reis celeste, par ton cumandement
25. amfant nus done ki seit a tun talent.
1.  Le monde fut bon au temps passé, 
2.
  Car il y avait foi et justice et amour,
3.
  Et il y avait crédit ce dont maintenant il n'y a plus beaucoup;
4.
  Tout a changé, a perdu sa couleur: 
5.
  Jamais ce ne sera tel que c'était pour les ancêtres. 
6.
  Au temps de Noé et au temps d'Abraham
7.
  Et à celui de David, lesquels Dieu aima tant.
8.
  Le monde fut bon, jamais il ne sera aussi vaillant;
9.
  Il est vieux et fragile, tout va en déclinant:
10. Tout est devenu pire, bien va en d
éclinant (?)
11. Depuis le temps o
ù Dieu vint nous sauver
12. Nos anc
êtres eurent le christianisme.
13. Il y avait un seigneur de Rome la cit
é:
14. Ce fut un homme puissant, de grande noblesse;
15. Pour ceci je vous en parle, je veux parler d'un de ses fils.
16. Eufem
ïen -- tel fut le nom du père --
17. Il fut comte de Rome, des meilleurs qui alors y
étaient
18. L'empereur le pr
éféra à tous ses pairs.
19. Il prit donc une femme de valeur et d'honneur,
20. Des meilleurs pa
ïens de toute la contrée.
21. Puis ils parl
èrent ensemble longuement.
22. Qu'ils n'eurent pas d'enfant; cela leur causa beaucoup de peine.
23. Tous les deux ils en appellent
à Dieu parfaitement
24.
«Ô! Roi céleste, par ton commandement,
25. Donne-nous un enfant qui soit selon tes d
ésirs.»           

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